Contrats commerciaux : Attention au déséquilibre significatif !
Auteurs : Alice DELGADO, Fleur NOUGARET-FISCHER
Publié le :
17/03/2022
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C’est dans un souci d’équilibre contractuel et parce que les consommateurs sont constamment dans une position de faiblesse face aux professionnels, que la notion de déséquilibre significatif est apparue en droit de la consommation, avant d’être conceptualisée en droit commercial puis en droit civil.
I – La notion de déséquilibre significatif en droit commercial et son articulation avec le droit commun
Les notions de déséquilibre significatif
L’article 1171 du code civil dispose que « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. », tandis que l’article 442-1 I° du code de commerce (anciennement 442-6 I,2) dispose que « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. ».
Les deux textes n’ont donc pas le même champ d’application puisque le droit civil exige pour sanctionner un déséquilibre significatif qu’il y ait un contrat d’adhésion, qu’il ne puisse être négocié (et pas seulement qu’il ne l’est pas été), et que la clause soit déterminée à l’avance par l’une des parties, alors que le droit commercial exige lui une soumission ou une tentative de soumission pour condamner une clause.
La sanction du déséquilibre significatif diffère aussi puisque dans le premier texte la clause est réputée non écrite et donc l’action est imprescriptible, alors que dans le second elle peut être annulée et la responsabilité est engagée, l’action est alors prescriptible.
Dès lors que plusieurs textes sanctionnent une même pratique, comment s’articulent-ils ?
Les règles commerciales priment sur les règles civiles mais des règles civiles peuvent s’appliquer entre commerçants
Le principe est que les règles spéciales dérogent aux règles générales, en conséquence les règles commerciales priment sur les règles civiles quand elles trouvent à s’appliquer. C’est pourquoi pour des contrats conclus entre des professionnels ce sont les règles du droit commercial qui s’appliquent et l’article 442-1 I 2° du code de commerce pour le déséquilibre significatif.
Ainsi l’on pourrait penser que pour des rapports entre professionnels dès lors qu’un texte spécial leur est consacré seul celui-ci s’applique et si leur contrat ne rentre pas dans le champ d’application de cet article c’est que la pratique n’est pas sanctionnée. Or, il n’en est rien.
Dans un récent arrêt en date du 26 janvier 2022 (Cass Com n° 20-16.782), les juges ont affirmé que dans un contrat conclu entre professionnels à défaut d’applicabilité de l’article du code commercial relatif au déséquilibre significatif, celui du code civil s’appliquait.
Des commerçants qui échapperaient au champ d’application de l’article 442-1 du code de commerce, peuvent donc être sanctionnés sur le fondement du droit commun des contrats.
Cette interprétation des juges trouve son fondement dans leur volonté de répondre aux attentes du législateur qui souhaitait, lorsqu’il a instauré l’article 1171 du code civil par la réforme de 2016, sanctionner les clauses abusives dans les contrats qui ne relevaient ni des dispositions spéciales du code de la consommation ni de celles du code de commerce.
Sachez donc désormais que les contrats conclus entre professionnels qui ne sont pas soumis à l’article 442-1 I 2°, qui sanctionne le déséquilibre significatif, seront soumis à son homologue l’article 1171 du code civil. Ainsi si vous exercez une activité autre qu’une activité de distribution, de production ou de services, vous n’entrez pas dans le champ d’application de l’article commercialiste et c’est l’article 1171 du code civil qui régira vos contrats, la sanction étant le réputé non écrit vous disposez d’une action imprescriptible.
Tel est le cas pour un contrat de bail commercial conclu pour une activité qui n’est pas une activité de distribution, de production ou de services (Cass. 3ème civ. 15 février 2018 n°17-11.329).
Il en est de même pour les contrats conclus entre une société coopérative de commerçants détaillants et ses adhérents (Cass. Com 18-10-2017 n°16-18.864).
La rédaction des clauses est donc cruciale et peu importe votre activité vous pourriez être sanctionnés en cas de déséquilibre significatif dans un contrat.
II – Une clause d’intuitu personae pesant uniquement sur le franchisé crée un déséquilibre significatif
L’invocation régulière du déséquilibre significatif en matière de franchise
Le déséquilibre significatif est souvent invoqué par les parties et il n’est pas rare qu’une clause soit annulée sur ce fondement, notamment en matière franchise, où les juges ont tendance à considérer que les relations sont déséquilibrées au profit du franchiseur.
Ainsi dans un arrêt du 5 janvier 2022 (Paris, 5 janvier 2022, n° 20/00737) les juges ont considéré qu’une clause de résiliation au seul bénéfice du franchiseur et qui l’autorisait à résilier le contrat sans manquement du franchisé à ses obligations contractuelles, était une clause créant un déséquilibre significatif et a été annulée.
Un déséquilibre significatif caractérisé par une clause d’intuitu personae unilatérale :
C’est de manière inédite que dans l’affaire citée ci-dessus les juges ont annulé une clause qui prévoyait que le contrat était conclu en fonction de la personne du franchisé uniquement, et pas en fonction du franchiseur, un intuitu personae pesait sur la seule personne du franchisé. Cela empêchait ainsi le contrat d’être transposé à d’autres personnes que le franchisé. En conséquence, le franchisé devait informer le franchiseur de tout ce qui pourrait modifier la personne du franchisé, obtenir son agrément, et le franchiseur pouvait résilier en cas de défaut d’agrément.
Rien de bien choquant étant donné qu’il est indéniable que dans n’importe quel contrat le choix des parties n’est pas aléatoire. Sauf qu’en l’espèce cet intuitu personae concernait uniquement le franchisé. Le franchiseur lui était libre et pouvait à tout moment céder sa place de partie au contrat ou modifier sa structure ou son comportement (changement de dirigeant, d’associés,).
Les juges ont considéré que cette clause était à la fois trop imprécise et unilatérale et l’ont condamnée sur le fondement du déséquilibre significatif, prévu à l’article 442-1 I 2° du code de commerce, anciennement 442-6 I.
Ce raisonnement des juges s’explique par le fait que le contrat de franchise repose sur 3 piliers : un savoir-faire, une assistance et une marque. Ainsi si le franchiseur choisi son franchisé pour ses qualités, il ne fait nul doute que le franchisé choisi lui aussi son franchiseur. Tout au long de l’exécution d’un contrat de franchise le franchiseur continue à avoir des obligations envers ses franchisés, il a l’obligation de maintenir son savoir-faire et de l’adapter aux changements du marché, il a l’obligation d’assister les franchisés qui en ont besoin, il a l’obligation de protéger l’image de marque de réseau… tant d’obligations qui font que le choix d’un franchiseur est déterminant.
Les clauses unilatérales d’intuitu personae ne sont dès lors pas justifiées et sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Toutes les clauses d’intuitu personae ne sont pas pour autant forcément constitutives d’un déséquilibre significatif
L’arrêt du 5 janvier 2022 est à considérer avec précaution puisque la portée de l’arrêt n’est pas générale. Les juges se sont basés sur les faits de l’espèce pour annuler la clause ce qui ne signifie pas que toutes les clauses d’intuitu personae pesant uniquement sur le franchisé seraient constitutives d’un déséquilibre significatif.
En effet certains cas ne justifient pas forcément que l’annulation d’une clause d’intuitu personae pesant sur le seul franchisé, en réalité tout dépend des obligations du franchiseur et de l’intention des parties dans le contrat en question. Si dans un contrat une clause précise que le franchisé ne s’engage qu’en raison de la notoriété et du concept du réseau et qu’ainsi la personne du franchiseur n’est que secondaire, il est tout à fait possible que la clause unilatérale d’intuitu personae ne soit pas annulée.
Il est donc extrêmement important lors de la rédaction d’un contrat, de mentionner les objectifs des clauses et l’intention des parties, cela permettra d’orienter la décision du juge qui sera saisi par l’une des parties qui invoque le déséquilibre significatif dans le contrat.
Composé d’avocats compétents en Droit des Affaires et de l’entreprise, le Cabinet FISCHER et son pôle droit des affaires est là pour vous accompagner et vous conseiller aussi bien dans la rédaction des contrats que dans leur exécution et dans le contentieux. Pour plus d’informations ou demandes de rendez-vous, contactez-nous ici.
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